mercredi 24 juin 2009

L'Ane d'or, d'Apulée de Madaure


Œuvre monumentale d'un écrivain berbère de langue latine, datant du IIe siècle, elle attend toujours sa traduction en arabe.

L'année 2008, consacrée à la traduction, étant passée, il est de bon ton de revenir sur ce qui nous semble être l'essence et la substance même de cet événement, à savoir la traduction des oeuvres, du moins celles qui présentent les caractères d'un esprit universel.

A ce titre, il en est une qui mériterait que l'on s'y penche sérieusement et avec le recul indispensable pour juger de l'urgence ainsi que de la nécessité d'une telle action. L'oeuvre en question est L'Ane d'or ou Les Métamorphoses d'Apulée de Madaure (125-180), écrite en latin à Carthage en l'an 161.

Le Pr Jelloul Azzouna, dans une étude publiée dans le dernier numéro de La Revue sadikienne et consacrée à Apulée, auteur libyco-berbère étudié, commenté et apprécié en Occident et à son roman, considéré comme étant l'un des plus singuliers et des plus remarquables du génie humain, au même titre que Le Satiricon de Petrone, s'est fait l'écho de maintes exhortations réclamant à cor et à cri, et avec insistance, la traduction en arabe de cette oeuvre.

Notamment celle de feu Mohamed Bachrouch qui avait appelé, dès les années trente et quarante sur les ondes de la radio de la ville de Tunis, à la nécessité de traduire en arabe tous les textes écrits par les Africains (Magon, Tertullien, Apulée de Madaure) en grec et en latin. D'autres ont aussi appelé pour l'émergence et l'étude de la littérature tunisienne préislamique.

Le Pr Jelloul Azzouna s'est employé, dans le passé, à publier deux études autour de L'Ane d'or. La première, en cours d'une seconde édition, est intitulée «La vie quotidienne et populaire d'après l'oeuvre d'Apulée de Madaure», et ce, dans le cadre de l'unité de recherche sur la littérature maghrébine ancienne ; la seconde est intitulée «L'Erotisme dans L'Ane d'or d'Apulée», publiée chez Cérès Editions en 1997.

Dans les pays arabes, L'Ane d'or n'a attiré l'attention que tardivement. En Tunisie, Ibrahim Ben M'rad et Abdelkader Ben Hédia en 1975. Des traductions partielles publiées dans les revues Qisas et Al Hayat al thaqafiya. En Libye, dans une traduction expurgée par A.F.Khéchime, en 1980 pour Floride et en 1982 pour Apologie.

L'auteur de cette étude reproche à la traduction d'un choix de textes d'Apulée par Mohamed Larbi Abderrazak un manque de naturel, un côté affecté et factice, très loin de l'esprit de l'oeuvre originale dont la langue est très proche de la spontanéité populaire, du débit du conte et de la prose d'Apulée.

La traduction ici, écrit le Pr Jelloul Azzouna, est trop intellectuelle et fait perdre au texte, tel qu'il apparaît dans les deux traductions françaises, sa vivacité et sa fraîcheur.

La métamorphose de l'âne d'or

Au départ, une question se pose : pourquoi Isis est-elle présentée comme la déesse qui sauve Lucius de sa condition d'âne, lui permettant ainsi de retrouver son humanité alors que le panthéon gréco-latin grouille de déesses et de divinités ?

Ce choix est celui d'Apulée qui se convertit, à la fin de sa vie, à la religion d'Isis, devenant même un des prêtres de la déesse, détenteur de ses mystères.

Sachant aussi que cette religion orientale, d'origine égyptienne, n'a cessé de se propager d'une façon spectaculaire dans tout l'empire romain durant les premiers siècles de la chrétienté, en sérieuse concurrence avec elle, elle aura été la dernière religion à lui tenir tête jusqu'au VIe siècle.

Pour Apulée, ce berbère fier de ses origines et imbu de culture classique, le choix d'Isis n'est pas dû au hasard. C'est comme si pour cet Africain versé dans la mythologie grecque et romaine, il ne s'agit là que d'un retour aux sources orientales qui plongent leurs racines dans les mythologies indo-européennes.

La métamorphose est, selon Apulée, nécessaire pour apercevoir la «réalité divine» ou pour accéder à l'immortalité divine. L'âne disparaît, meurt. Cette mort est le commencement d'une nouvelle vie, de la vraie vie.

Le vieil âne est dépouillé de sa carcasse. C'est le départ vers une nouvelle vie spirituelle. Isis «illumine la conscience de Lucius d'un nouvel ordre intelligible». La métamorphose est donc un «voyage intérieur», de loin le plus difficile des voyages, le plus périlleux et le plus risqué.
Liens Pertinents

La métamorphose de Lucius en âne fait apparaître la dualité corps/âme. La peau d'âne et la vie d'âne correspondent à l'aspect matériel et animal de la vie de perdition, de plaisirs et de l'irresponsabilité, alors que le retour à l'aspect humain est perçu comme une renaissance, une résurrection.

Isis est synonyme de l'africanité, de ce retour au terroir, à ces croyances berbères ancestrales qui, au-delà des dieux de l'Olympe, font apparaître le panthéon ancien moyen-oriental comme le seul horizon pour une compréhension profonde à la fois de l'univers et de sa propre âme.

«C'est là, en tout cas, une lecture possible, parmi tant d'autres de ce roman éternel, pour lequel nous renouvelons notre appel pour sa traduction intégrale en arabe et à partir du latin directement et non plus à partir du français ou de l'anglais, comme ce fut le cas jusqu'ici», conclut le Pr Jelloul Azzouna

Adel Latrech 12 Janvier 2009

Aucun commentaire: