mardi 29 avril 2008

Madaure, ma ville et ma passion



Madaure, ma ville et ma passion…

Le douar a bougrement gonflé. Il a surtout poussé vers les piémonts du djebel Boussessou, dans un désordre aux couleurs vaguement grisâtres; ce qui laisse penser que cette extension a été faite sans tenir compte des règles élémentaires de l’urbanisme ou de l’architecture. Ain Hadjar est un bourg sans prétention, peuplé d’un conglomérat de paysans misérables et de chômeurs, tous n’ayant pas de quoi offrir le minimum à leurs progénitures. Etalée aux pieds d’une belle montagne de pins, cette traînée de grosse misère se trouve à quelques encablures des ruines romaines de Madaure, cité antique connue pour avoir donné naissance à Apulée, considéré comme l’inventeur du roman moderne avec son « Ane d’or » dont feu Doudou a traduit brillamment le texte en arabe. Voilà un algérien – au sens où le territoire numide de l’époque fait partie aujourd’hui de l’Algérie-, voila un fils de ce pays, originaire de ses entrailles, célèbre dans le monde entier et l’un des rares à figurer dans toutes les encyclopédies et les dictionnaires, qui est superbement ignoré par les autorités centrales et locales au point où un débat byzantin et houleux s’est instauré lorsqu’un intellectuel du coin a proposé de désigner le lycée de M’daourouch du nom d’Apulée.
J’ai entendu un ancien responsable local dire que ce « type », inconnu selon lui, ne méritait pas cet honneur ! Un autre lui a dénié le titre d’Algérien, car « il a écrit en latin » ! Un troisième pense qu’il s’agit d’un romain colonisateur ! Autant d’inepties peuvent être entendues tous les jours, n’importe où, à propos de cette riche histoire d’avant l’islam que nous envient pourtant beaucoup de peuples ! Des dolmens de Roknia aux peintures rupestres du Tassili, chaque pouce de cette généreuse et fière terre regorge d’histoire, pullule de témoignages sur des racines plongeant dans les profondeurs du temps, fourmille d’archives à ciel ouvert ! Certains cercles d’obscurantistes, tout en nous contestant un avenir dans la modernité, veulent nous priver d’une partie de nous-mêmes, en « censurant » l’histoire de nos aïeuls ! Si la question de l’islam en Algérie a été réglée depuis longtemps et ne souffre d’aucune contestation quant à son implantation, sa généralisation et son unicité dans un pays qui, à l’instar de ses voisins maghrébins, pratique tranquillement sa religion dans la tolérance et la fraternité, il n’en est pas de même des autres composantes de notre personnalité et des autres pans de notre longue et mouvementée histoire qui souffrent d’une marginalisation incompréhensible.
L’Algérie a existé avant l’islam et a donné au monde des personnalités exceptionnelles à la dimension universelle. Avec Apulée, nous pouvons citer cet autre algérien, fils de Thagaste, l’actuelle Souk-Ahras, distante d’une trentaine de kilomètres de Madaure. Celui qui est considéré comme l’un des piliers de l’église chrétienne est renié par ces mêmes cercles qui le traitent de « mécréant », lui qui a vécu bien avant l’émergence de l’islam ! Des imbéciles heureux ont débaptisé la rue qui porte son nom à Annaba (partant du Cours de la Révolution et menant vers la Place d’Armes) et c’est par miracle que le lycée local n’a pas connu le même sort malgré plusieurs tentatives ! Cet Algérien a étudié à l’université de Madaure à l’époque où cette cité brillait par le savoir et la connaissance. Peuplée de riches possédants, cette ville était célèbre par son université, l’une des premières – avec Carthage – du continent africain et le mécénat culturel de ses habitants. Ce qui attirait une foule composite d’hommes de lettres, de philosophes, de grammairiens, de mathématiciens et de rhétoriciens. Grandeur et décadence ! M’daourouch, la fille de Madaure dont elle porte toujours le nom (M’daourouch est une déformation du nom latin Madauros), est aujourd’hui une ville insipide, vide culturellement, morte scientifiquement et livrée aux affairistes de tout bord !
En parcourant les chemins oubliés de Madaure, livrés à l’herbe folle et aux reptiles, je suis toujours saisi par une très forte émotion et je ne sais plus si c’est par rapport à mes souvenirs d’enfance si intimement liés à l’ocre sauvage de ces ruines ou parce que les terribles vents de l’histoire qui s’engouffrent dans les dédales de cette cité de légende, semblent porter les voix des êtres qui vivaient ici, dans le tumulte des rues gonflées de vie, l’éclat des rires juvéniles et les cris des vendeurs du marché local. Dans les labyrinthes de la cité oubliée, du côté du fort byzantin encore miraculeusement débout, j’ai parfois l’impression de voir filer une ombre furtive. Une Madaurienne drapée dans sa tunique d’un blanc immaculé ? Un prêtre activant le pas pour rejoindre la chapelle dont la tour se dresse toujours à quelques mètres de la ferme des Belhouchet ? Peut-être est-ce le fantôme de Saint Augustin, sortant de l’Université encore debout, immense bâtisse reconstruite par les premiers archéologues qui travaillèrent ici ; ou l’esprit d’Apulée, s’apprêtant à partir vers la lointaine Tripolitaine pour y étudier les mystères de la sorcellerie ?
Qui êtes-vous pour prétendre effacer, d’une bêtise dont vous ne mesurez même pas la portée, toute cette histoire incrustée dans chaque pierre, chaque statue, chaque stèle de ma ville bien aimée ? Qui êtes-vous pour vouloir nous priver de mémoire, nous rattacher par n’importe quel moyen à un monde qui nous est étranger ! Il faut être juste, même si cela ne fait pas toujours plaisir à certains, et reconnaître le rôle joué par Abdelaziz Boutefika dans cette « renaissance » de la mémoire et la réhabilitation de cette partie de notre histoire, sujette à tant de manipulations. Mais il ne faut pas s’arrêter en si bon chemin, sinon tout le travail accompli et la sensibilisation opérée n’auront servi à rien. La tâche est immense. Commencez par enseigner Apulée de Madaure et ses textes à nos enfants ! Cet illustre écrivain mérite d’être reconnu par les siens. « L’Ane d’Or » est un merveilleux conte philosophique qui mettait en valeur, déjà, l’humanisme. C’est l’œuvre magistrale d’un précurseur tant dans sa forme d’écriture moderne que dans sa visée pédagogique. Certains y ont vu la dénonciation du colonialisme romain à travers les yeux d’un homme transformé en âne par sa curiosité maléfique pour la magie. Lisez-le et ajoutez ce livre à votre collection de Dib, Kateb Yacine, Mammeri, Malek Haddad, Moumeni, Djaout et tant d’écrivains ayant « volé » à l’envahisseur sa langue pour l’utiliser comme « butin de guerre ». Apulée de Madaure est de ceux-là, même si son parcours est controversé pour certains. Cet Algérien, fils de ces mêmes montagnes qui surplombent le bourg de Ain Hadjar, aujourd’hui tristes et sans âme, mérite que l’on s’intéresse à ses oeuvres et que l’on réhabilite sa mémoire afin que les jeunes générations sachent que cette terre, riche en histoire et féconde en culture, n’est pas le pays du néant !
J’ai fait un rêve. J’ai vu nos grandes universités s’ouvrir à cette partie fertile de notre mémoire collective. J’ai vu les ruines romaines de Madaure élevées au rang de cité d’art et d’histoire avec toutes les infrastructures et les commodités pour recevoir les visiteurs. J’ai vu des guides multi langues accompagner des cohortes de curieux cherchant les traces de Saint Augustin et d’Apulée. J’ai vu le fronton de l’établissement secondaire de M’daourouch portant l’inscription « Lycée Apulée de Madaure ». J’ai vu des librairies et des bibliothèques garnies de livres sur Saint Augustin, Apulée et tant d’autres piliers de la grammaire latine dont Madaure était le centre de rayonnement. J’ai vu l’Algérie, réconciliée avec son passé, fière de toutes les composantes de sa personnalité, élever des statues à ses hommes célèbres, sans distinction d’époques ou de religions.
En attendant que ces rêves se réalisent, je dois avouer que j’ai été récemment surpris et heureux de rencontrer dans les rues pavées de Madaure des petits groupes de touristes étrangers qui, malgré les recommandations –exagérées parfois- de leurs pays, n’hésitent pas à venir jusqu’ici en quête des savoir sur Saint Augustin. Ce départ timide du tourisme religieux peut être encouragé par l’Etat avec des mesures incitatives et la création d’un minimum d’infrastructures d’accueil. A ce titre, et pour l’anecdote, M’daourouch attend toujours le seul projet dont elle a bénéficié dans le cadre d’un programme spécial datant des années soixante-dix : un musée pour mettre en valeur le riche patrimoine archéologique de la région !
En cette fin novembre, l’automne ne sait plus quoi faire, tantôt agité par les bourrasques qui affolent l’herbe nouvelle dans les champs gorgés d’eau, tantôt bercé par un soleil dont les apparitions se font de plus en plus timides. Ain Hadjar a encore besoin de se chauffer. Le bois est disponible à côté. Et cette forêt qui recule sous les coups de hache ne sera bientôt qu’un famélique bosquet si les gardes forestiers ne se mobilisent pas pour arrêter le désastre. Mais le butane coûte cher et l’on ne parle pas encore de l’arrivée du gaz de ville. Et les gens n’ont rien à bouffer… Pourtant, un trésor dort à quelques centaines de mètres : Madaure, ma ville et ma passion.

Par M Maamar FARAH fils de M'daourouch




10 commentaires:

BARA a dit…

bonjour..bravo pour ce site et bon courage.
moi aussi je suis fier de madaure et de mdaourouche et de oued keberit,mon village natale,je m'apel ahmed salah BARA ,artiste peintre et dessinateur,je suis à alger pour exposer dans la salle elmogare,notre région me manque beaucoup ,car je suis là depuis 4 moi,
vous pouvez voi mes ouvres sur les site
www.artmajeur.com/bara
www.artmajeur.com/ouedkeberit
www.ouedkeberit.canalblog.com

BARA a dit…

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merci

Samir a dit…

merci bien pour votre commentaire vraiment elle trop belle notre région. Moi actuellement je suis en france pour mes études je connais pas mal de gens de oued kebrit comme MUSTAPHA BARA peut etre vous le connaissez aussi merabti abdel baaset et walid bara khaled dawich nous étions tous ensemble à la fac d'annaba. bon courage pour vous j'ai vu vos oeuvres ils sont magnifique.

NADIAMADAURE a dit…

un petit mot " BRAVO POUR CE SITE"je viens de le decouvrir je suis nee à m'daourouch mais je ne connais pas particulierement je l'ai quitte il y a si longtemps pour venir vivre en europe mais je veux garder ce lien cette racine merci par avance à tous ceux qui me donnerons des nouvelles de MADAURE

archi_keberit a dit…

salut ça va merçi et bravo pour ce site il est tres manifique , je suis bilel achouri de oued el keberit , je suis un architect , bon courage et bon chançe pour vous .

madaure a dit…

bonjour ...
je m'appel MAHDI OUALI
je suis etudiant en master ( sciences politique ) à paris
je suis d'origine de m'daourouche
je vien de découvrire ce site qui parle de mon village ... je dit merci bien aux gens qui ont crier ce site .... bravo ..bravo...bravooo

Rabah ARB CHAABA a dit…

Salut Samir tu me connais évidement, ton cher amis Rabah. Je viens de me connecter à ce beau site de ma ville Mdaourouch, je vais te fournir des nouvelles photos des ruines de Madaure. Bon courage et bonne continuation pour développer ce site.

belhouchet a dit…

http://www.facebook.com/pages/belhouchet/107342085957009?v=box_3&ref=nf#!/pages/belhouchet/107342085957009?v=wall&ref=nf

Anonyme a dit…

saha samir

Unknown a dit…

Bravo Monsieur et merci pour texte tellement beau. Ça donne envie de pleurer, mais aussi d'espérer